Tirage au sort de lieux et de raisons d'y aller
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Lieu : "Station spatiale"
Raison : "Se retrouver"
Je m’étais bien préparé. Une paire de jumelles, de bons
bouquins, des sous-vêtements propres pour deux semaines. Le
prospectus vantait « le ciel clair, la nuit étoilée sans limites, les grandes
étendues infinies de l’Univers à portée de main. Une nourriture
saine élaborée par des grands chefs (étoilés eux aussi) ». Le spectacle permanent du ballet régulier des astres
m’attendait. Je ne dormais plus depuis des jours. Dans l’avion
qui nous emmenait vers les steppes d’Asie Centrale, j’en ai
écrasé comme un môme. Un type portant une chapka m’a réveillé
à l’arrivée. On est montés dans un bus à la carcasse rouillée
qui crachotait et menaçait de se disloquer à chaque virage. Ça
commençait bien ! Si la fusée était dans le même état, on
allait finir comme les débris de la station Mir, à tourner un peu
dans l’espace puis à s’enfoncer avec des flammes dans
l’atmosphère. Le bus nous a posés devant un hangar et on s’est
déshabillés pour enfiler nos scaphandres de cinquante kilos, puis
une grue nous a déposés sur le plateau d’un camion qui nous a
bringuebalés vers le pas de tir où la fusée nous attendait.
« Technologie russe d’avant-garde et éprouvée »
disait le prospectus. Mon œil ! On se serait cru dans un
documentaire en noir et blanc sur les pionniers de la conquête
spatiale. Avec leurs réductions des coûts, on allait finir en
météorite, c’était certain ! L’Allemande en face de moi
transpirait. Je ne voyais plus son visage à cause de la buée. Quant
au Hongrois, il n’arrêtait pas de gigoter. J’ai même cru qu’il
allait déchirer ma combinaison, cet imbécile. Le Russe qui nous
accompagnait n’arrêtait pas de parler en anglais mais avec un
accent tellement fort que je n’y comprenais rien. Il nous montrait
les cadrans sur le bras gauche du scaphandre, mais impossible de
savoir si ça indiquait la pression, la température ou autre chose.
J’avais opté pour un séjour dans une station spatiale pour la
sérénité et la méditation, les questionnements existentiels et
tout le tremblement. J’en avais marre de la surface de la planète,
où on se marchait sur les pieds, où il fallait jouer des coudes
pour l’accès à l’eau, à l’air pur et à la bectance. Alors
j’avais choisi un long séjour en apesanteur dans une boîte de
conserve. À Baïkonour, ils demandaient des cosmonautes volontaires
pour nettoyer les chiottes et changer l’eau des grenouilles qui
faisaient l’objet d’expériences dans la station orbitale Mir II.
Il fallait juste payer le voyage au Kazakhstan, le reste était tous
frais payés. Ils avaient lancé ce programme, car ils n’avaient
plus de sous pour payer des cosmonautes professionnels. Alors j’ai
dit banco. C’est encore mieux qu’un monastère bouddhiste, je me
suis dit. Et j’allais me lancer moi aussi à la conquête des
étoiles, prendre un peu de hauteur, regarder ma vie de loin, me
retrouver, quoi ! Le Hongrois m’agrippait le bras. Le camion
s’était arrêté au pied de la fusée, mais il ne voulait pas
descendre. La panique. Paraît que ça arrive parfois, avant
d’embarquer. Je ne pouvais pas lui en vouloir, le pauvre. Mais j’ai
dû le bousculer un peu pour me laisser tomber lourdement au sol. Un
petit pas pour moi …
Le Russe aidait l’Allemande, qui avait fini de transpirer et
s’était calmée un peu. Moi, j’ai progressé tant bien que mal
vers l’ascenseur qui s’est élancé comme un monte-charge
souffreteux avec des à-coups terribles. Au moment où j’ai cru que
le câble s’était rompu et qu’on allait s’écraser sur le
béton du pas de tir, la porte s’est ouverte et le Russe nous a
poussés vers la porte d’entrée de la fusée. En regardant en bas,
j’ai vu le camion qui repartait avec le Hongrois qui n’avait pas
pu se décider à monter avec nous. Ils allaient peut-être nous le
requinquer avec de la vodka et nous l’envoyer à la prochaine
fenêtre de tir.
Tous les trois, on est entrés dans le cockpit. Le Russe s’est
installé au volant, enfin… aux commandes, a poussé quelques
boutons et actionné quelques manettes, s’est engueulé avec un
type dans la tour de contrôle, y a eu un décompte et à zéro, j’ai
eu l’impression qu’un trente-huit tonnes m’écrasait la cage
thoracique. Ça tremblait de partout, il me semble même avoir vu des
boulons tomber du tableau de bord. Puis les moteurs se sont arrêtés.
Le Russe a fait un grand sourire, a défait sa ceinture et a commencé
à flotter dans l’habitacle. On était en apesanteur. L’ordinateur
de bord commençait à calculer la trajectoire pour l’arrimage avec
la station. À cause des vibrations, j’avais une terrible envie de
filer aux toilettes. J’espère qu’elles sont propres, là-haut …
Greg.
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