Expressions tirées au sort :
"Connu comme le loup blanc"
"Retourner le fer dans la plaie"
***
Dans le quartier, il était connu comme le loup blanc. Il déclamait
des poésies dans la rue, comme ça, pour le plaisir. On le prenait
tous pour quelqu’un de dérangé, bien aimable mais un peu timbré.
Il vous regardait toujours avec un sourire de comédien, cette espèce
de sourire amusé de l’homme content de son effet. Il connaissait
les regards en coin, les murmures désapprobateurs, mais il s’en
fichait pas mal. Parfois même, il abordait les passants, leur
demandait quelques pièces de monnaie. Lorsqu’il avait récolté
quelques sous, il les dépensait en sandwichs et en bière et il
disait « C’est e cachet du comédien ! » Puis il
chantait « La Bohême » ou « L’Aigle Noir »
sur le trottoir, devant les gens médusés. Lorsque quelqu’un lui
disait « Vous avez du talent ! », il répondait
« Alors engagez-moi, je sais tout faire, même danser ! »
et il exécutait devant le flatteur quelques pas de valse ou de
salsa. Il était tout le temps dans la rue et pourtant, il n’était
pas SDF. Il louait un petit studio dans le quartier. « Un
saltimbanque, c’est toujours au grand air ! » disait-il
souvent. Il lui arrivait parfois de jongler avec des oranges ou des
pommes au milieu de la rue. Lorsqu’une voiture arrivait, que le
conducteur klaxonnait, il haussait les épaules et disait : « De
toute façon, ce n’est pas bien de jouer avec la nourriture »
et il allait au parc distribuer ces fruits aux sans-domicile qui
zonaient là.
Lorsqu’on lui demandait s’il avait été acteur, il regardait son
interlocuteur dans les yeux pendant quelques secondes avant de
répliquer : « C’était dans une autre vie et puis faut
pas retourner le fer dans la plaie ».
Toujours en costume, la chemise blanche un peu sale au col, la
cravate desserrée, on le voyait souvent arpenter les rues au hasard,
les mains dans les poches, disant bonjour au passants, regardant le
ciel.
Une fois, il a passé la nuit au poste, parce qu’il divaguait tard
le soir sans carte d’identité.
Il a lu aux flics à haute voix un exemplaire de « Claude
Gueux » de Victor Hugo, qu’il avait dans la poche. En
sortant, il leur a dit : « C’est une erreur judiciaire,
mais je ne vous en veux pas ! » en faisant mine de retirer
un chapeau imaginaire.
Un soir d’automne, sur un banc, il s’est assis, humant la
fraîcheur du parc et admirant les arbres. Au petit matin, il était
encore là, parfaitement immobile, le regard fixe, les lèvres à
peine décolorées par le froid.
Des gamins l’ont trouvé. « ça va, m’sieur ? »
L’ambulance est arrivée. Des lumières bleues ont éclairé une
dernière fois la scène. En guise de rideau une averse est tombée
sur le décor du parc.
Greg.
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