Inducteur :
« Ce n’est pas fini, les autres aimeront pour toi, les autres
verront le ciel pour toi. »
Eugène Ionesco, Le Roi Se Meurt
Eugène Ionesco, Le Roi Se Meurt
« Ne vous curez pas le nez pendant que je parle, c’est
répugnant. »
San-Antonio, Les Vacances de Bérurier
San-Antonio, Les Vacances de Bérurier
« Donc le poète est vraiment voleur de feu. »
Rimbaud, Poésies (1870-1871)
Rimbaud, Poésies (1870-1871)
« Elle voit le fantôme léger de son amie se coller à chaque
fenêtre du rez-de-chaussée. »
François Mauriac, Thérèse Desqueyroux
François Mauriac, Thérèse Desqueyroux
« Trois autres jours, et toujours pas de nouvelles. Attendre
ainsi devient vraiment angoissant, terrible. »
Bram Stoker, Dracula
Bram Stoker, Dracula
***
« Ne vous curez pas le nez pendant que je parle, c’est
répugnant, me dit la grande bringue, tandis qu’elle brandit vers
moi sa longue baguette avec laquelle elle frappe régulièrement son
petit bureau.
Elle met ensuite son bâton sur l’épaule et marche de long en
large sur l’estrade. Je fourre ma main dans la poche. Derrière
moi, ça pouffe. Je me retourne. Derrière mon épaule, y a Fred qui
me fait une grimace. L’institutrice sèche et dégingandée
déblatère son cours comme à l’ordinaire, de manière monocorde.
Ça roupille dans les rangs. Puis soudain : « Ouvrez vos
livres à la page 99 ! ».
J’ai un moment de panique. Quel livre ?
Tout le monde a le sien, pas moi. Tout le monde feuillette le petit
livre de poche et cherche la page 99. Je transpire. La baguette se
pose sur mon bureau. « Encore oublié votre livre, Machin ? »,
elle me fait en approchant son visage buriné. Merde ! C’est
quoi, cette manie de m’appeler Machin. C’est pas mon nom, moi mon
nom, c’est … J’ai pas le temps de lui dire. Elle remonte sur
son estrade et annonce « Machin, au tableau ! »
Je me lève en tremblant. Une fois sur l’estrade, devant le panneau
vert kaki, elle me tend son exemplaire du livre et me dit sèchement :
« Page 99, lisez la dernière phrase ! ». Je
m’empare du bouquin avec mes doigts tout collants de sueur, cherche
la page puis la phrase.
« Elle voit, elle … voit le fantôme léger de son amie ... »
La suite, elle la récite de mémoire, agacée.
« Se coller à chaque fenêtre du rez-de-chaussée »
À quelle figure de style avons-nous à faire ici ? Me
demanda-t-elle avec ses petits yeux noirs de furet.
Je panique à nouveau. J’ouvre la bouche, mais il y a une sorte de
charabia qui sort.
« C’est … c’est la figure de son amie qui... »
« De style ! Je parle de figure de style ! »
La baguette oscille devant moi. Parfois elle s’immobilise devant
mon nez.
« Qui peut me le dire ? A part Bidule, bien sûr ! »
Bidule, qui avait levé le bras à s’en démettre l’épaule,
repose sa main sur le bureau, dépité dans sa têt bien peignée de
premier de la classe.
« C’est une … c’est une … Allez, je vous aide, ça se
termine par « phore », concède l’instit.
« Madame, c’est trop fort, comme figure de style ! lance
Trucmuche, qui pense sincèrement avoir trouvé.
La grande, là-haut, sur son estrade, soupire. Elle s’affaisse
soudain, rétrécit pour faire presque une taille normale et dit,
d’un ton fatigué :
« Bon, Bidule, dit la réponse !
« Une amphore, dit-il, fier de lui en se levant comme un seul
homme.
L’instit s’assoit. Même le premier de la classe a flanché.
C’est la déroute.
« C’est une métaphore, je m’exclame soudain, touché par
la grâce.
C’est mon heure de victoire !
L’instit m’adouberait presque avec sa baguette. Pour un peu elle
me nommerait Chevalier des Arts et des Lettres. Je suis son champion.
Ses yeux noirs s’agrandissent alors qu’elle me regarde.
Je suis son nouveau chouchou ! Bidule a été détrôné !
Ça sonne dans le couloir. Toute la classe se lève. Même Bidule
court avec les autres.
Je reste pour nettoyer le tableau. Noblesse oblige !
Greg.
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