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Un tire d'article de journal : Inventaire dans le magasin de demainProverbe japonais : La haine est une émotion aussi dangereuse que l'amour
La vitrine était immense, éclairée par des milliers de LED de
toutes les couleurs. Des ours en peluche se dandinaient en chantant
des mélodies mièvres de Noël. Un Santa Klaus en costume écarlate
ourlé de blanc franchissait une montagne sur un traîneau tiré par
des animaux plus vrais que nature. Des gamins bavaient devant, leurs
mains poisseuses de sucre d’orge et de chocolat adhérant à la
vitre comme des ventouses, les yeux exorbités, la mâchoire
inférieure pendante. Les parents, derrière, dansaient d’un pied
sur l’autre pour se réchauffer, impatients de rentrer à la
maison, leur respiration matérialisée par un brouillard devant leur
visage.
L’enseigne du magasin flottait au-dessus de nous, annonçant
« Automates et Intelligence Artificielle – Impression 3D de
tous vos cadeaux ». Ils en avaient parlé dans la revue
« Inventaire ». L’article parlait d’une troisième
révolution industrielle. « Dans le magasin de demain, disait
l’auteur, vous pourrez concevoir tous vos objets et les imprimer
immédiatement. Sur le Net, vous pourrez trouver les plans de robots
à imprimer prêts à l’emploi. Chaque échoppe deviendra une
usine, chaque client un concepteur, chaque vendeur un
sous-traitant. »
Un hologramme surgit devant moi. Pouf ! Un vendeur portant une
chemise blanche et un nœud papillon m’invite à entrer. C’est à
ce moment-là que ça a commencé à déconner. L’enseigne s’est
éteinte et a laissé apparaître un magnifique panneau bleu portant
l’inscription : « Fatal Error – System must be
rebooted. »
Certainement encore un coup des info-terroristes russes ! Les
nounours gentils dans la vitrine se sont arrêtés, les LED ont
clignoté puis se sont éteintes. La rue était dans l’obscurité.
Puis soudain, le bruit d’un ordinateur qui redémarre, l’écran
d’accueil de Fenêtres 3000 apparaît, avec le portrait d’un type
à lunettes qui rit de manière diabolique. Les yeux des nounours se
sont rallumés. Ils avaient un drôle d’air, tout d’un coup. Au
lieu de chanter des chants de Noël prônant la paix et l’amour,
ils se sont mis à répéter tous ensemble : « Kill !
Kill ! ». Les enfants se sont mis à hurler, les parents
les ont entraînés dans la rue, les nounours ont fracassé la grande
vitrine et se sont déversés sur le trottoir, suivis du Père Noël
et de son traîneau. Moi, j’ai regardé ça d’un œil goguenard
et pas du tout effrayé. J’ai envoyé balader une bonne dizaine
d’oursons à coups de bottes. Mais les rennes de l’obèse en
costume rouge ont foncé sur moi. J’ai juste eu le temps de me
baisser. Au deuxième passage, j’ai attrapé les bois d’un des
animaux et j’ai tiré de toutes mes forces. Le traîneau est
retombé dans la vitrine et le Père Noël a fini dans le rayon des
drones. Ça a fait des étincelles. Le petit bonhomme s’est quand
même relevé, mais il s’est pris les pieds dans une guirlande et
est tombé face contre terre. Définitivement, cette fois. Les
nounours survivants couraient dans tous les sens en balbutiant
« Kill ! Kill ! » de leur petite voix douce.
Je suis rentré chez moi, un peu fatigué. À la télé, un parterre
de personnalités commentait l’actualité. Le clone de Jean
d’Ormesson déclarait :
« Vous savez, la haine est une émotion aussi dangereuse que
l’amour ! »
Greg.
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