Animé par : Laurence
***
« Histoires à 5 plumes »
Atelier d’écriture du
Remue-Méninges – lundi 30 janvier 2017
1/ chacun, au début de la page,
plante un décor, une ambiance, où évolue un personnage de son
choix (3 min)
2/ la feuille passe au voisin, qui
ajoute un (ou plusieurs) personnages dont il donne quelques indices
(caractère, comportement, relations entre eux et le premier
personnage) (4 min)
3/ la feuille passe à nouveau,
pour créer un événement perturbant le cours de l’histoire et les
personnages (7 min)
4/ nouveau scripteur pour l’ultime
point « dramatique » du récit (dans le sens d’une
montée en puissance tragique, ou comique, ou absurde) (7 min)
5/ la dernière plume écrira la
chute, ou la morale (7 min)
Et
par ordre (ou désordre ?) d’entrée en scène (ou plutôt en
récit) :
Virginie,
Grégory, Audrey, Samuel, Nicole, Jean-François, Catherine, Nelly,
Laurence, Nicole et Carole.
***
UN
DRAGON ENRHUME
Il
était une fois un dragon orphelin qui vivait dans un lieu magique
entouré de lacs et de forêts dans une contrée fort fort lointaine,
il y a de ça fort fort longtemps. Il n’avait donc plus ses
parents, mais il avait de nombreux amis qui étaient devenus un peu
sa famille d’adoption. Il allait à l’école tous les matins.
L’institutrice était une fée.
Le
dragon était le plus grand élève de sa classe. Heureusement que
l’institutrice pouvait voler, cela lui permettait de taper au
besoin sur le museau du dragon. Tous ses amis de la classe étaient
des animaux : lapins, chenilles, etc. En plus, ils savaient tous
parler, et les lapins aimaient courir !
Tout
ce petit monde avait pour habitude de partager la même salade à
midi. Mais ce jour-là, on sentait la fumée, et une odeur de grillé
depuis le matin. On entendait le dragon éternuer au-delà des
montagnes. À chaque éternuement, une flamme, un petit brasier. Le
chocolat de Karim l’écureuil fondait en coulant sur sa réserve de
noisettes. Les lapins qui pourtant couraient vite (l’entraînement),
n’avaient pas pu éviter un éternuement. Ils sentaient le roussi.
L’instant était critique ! L’institutrice avait essayé de
soigner ça de sa poussière de fée, mais elle n’avait réussi
qu’à rendre la crise plus violente !
Un
dragon allergique à la poussière de fée ! Avait-on jamais
entendu une chose pareille ? Il ne restait plus qu’à aller
faire chercher le médecin scolaire, un hibou très savant et très
dévoué. « Allez, les lapins, courez le chercher vers le
nord ! Karim, laisse ton chocolat, de toute façon il est fondu
maintenant, et pars vers le sud ! Les autres, deux groupes, à
l’est et à l’ouest. Les premiers qui me ramènent Docteur Hibou
auront un bon point ! ». Et chacun se mit en route,
laissant le dragon enrhumé à la garde attentive de la fée
institutrice, qui avait eu la présence d’esprit de lui demander
d’éternuer dans un grand baquet plein d’eau, pour le pas risquer
l’incendie de l’école.
Le
docteur ne put rien faire, tout ce qu’il essayait n’avait aucun
effet ! Monsieur le curé passa par là. Un coup de baguette
magique, ou une BA, ou le hasard… bref, revenons à nos moutons, le
dragon apprit à jouer avec cet atout… ou ce boulet… Et des
moutons ? Ben oui, il y en avait !
PEEL
ET FACE
La
cheminée de la chaumière cachée en lisière des bois vapotait des
volutes bleues dans un ciel où les deux lunes de la nuit écarlate
réfléchissaient comme des miroirs. Peel le troll attendait.
Peel
attendait son ami Face avec qui il avait l’habitude de jouer dans
la forêt. Face était plus petit que Peel, étant plus jeune
d’années.
Face
ne venait pas… Peel avait attendu, attendu jusqu’à la tombée de
la nuit. Peel ne s’était pas rendu compte que le jour est
éphémère. La nuit aussi, mais sa fin va prendre un peu de temps.
Le temps s’est accéléré et maintenant c’est au tour du cœur
de ce pauvre Peel. Comment va-t-il sortir de la forêt ? Il n’y
a pas de lampadaire sur les poteaux arbres ! Peel tâtonnait tel
un aveugle. Ses autres sens étaient en émoi, ce qui rend la forêt,
la nuit, plus inquiétante. Soudain, une branche casse, enfin… il
croit entendre… Puis un bruit sourd, enfin, il lui semble… Une
silhouette, ou quelque chose de plus clair se dessine dans la
pénombre. Des fois, mieux vaut pas s’habituer à l’obscurité.
Mais là, Peel voyait quelque chose, il ne pouvait pas l’ignorer.
Il
avait vu des pattes griffues près des buissons qui bordaient le
chemin. Un frôlement, un grognement, puis une lueur. Des flammes
éclairèrent les arbres et brûlèrent quelques branches autour de
lui. Un dragon était devant lui ! Une bête écailleuse
effrayante qui l’observait d’un œil jaune reptilien. Il se mit à
courir à travers la forêt, s’enfonça plus avant dans le dédale
des troncs. Après quelques instants, il s’arrêta pour reprendre
son souffle et guetta le moindre bruit. Tout était silencieux.
Soulagé, il chercha dans l’obscurité le chemin, mais il ne le
trouva pas. Et soudain, l’effroyable dragon fut à nouveau devant
lui !
Un
combat sans merci s’amorça entre le dragon et Peel. Peel utilisa
tous les projectiles à sa portée : branches, feuilles, pommes
de pin… Il visa la tête, l’entrejambe du dragon qui, à chaque
coup, crachait du feu dans sa direction ! Le petit Peel
heureusement était agile : bondissant de branche en branche, il
réussit à sauter sur les épaules du dragon et encercla son cou
avec une liane. Le dragon, privé d’oxygène, s’effondra au sol
dans un grand bruit sourd. Au contact du sol, le corps du dragon se
désagrégea et partit en fumée. En lieu et place du corps inerte du
dragon, Peel vit le corps inanimé de son ami Face. Il le secoua, lui
parla, le gifla ! Face revint à lui et raconta sa mésaventure
à Peel : Face avait été capturé et transformé en dragon.
Face remercia son ami de l’avoir sauvé du sortilège.
Peel
et Face redevinrent les meilleurs amis du monde et vécurent encore
de nombreuses et belles aventures au cœur du bois enchanté.
ALIEN VS RÉVOLUTION
C’est
dans une forêt sombre, il fait froid, c’est l’hiver. Ivan
Vassilievitch quitte sa cabane pour aller chasser. Il a enfilé sa
pelisse, ses gants, ses bottes fourrées. Il n’oublie pas de mettre
dans le fond de sa poche un peu de viande séchée, et dans son autre
poche un flacon de vodka.
Ce
soir-là, Ivan a déjà bien bu. De la vodka, bien évidemment. Il
voit apparaître une jeune fille qui deviendra, plus tard, son sucre
d’orge. Elle est toute déguenillée, les cheveux sales, pieds nus,
elle n’a pas un sou.
Ivan
veut lui offrir un verre. « Comment t’appelles-tu, petite
demoiselle ? » Amadouer l’enfant, accostage en eau
fragile. Elle lui sourit, avale une gorgée de la vodka si
aimablement offerte, semble apprécier, déguste. Tout va pour le
mieux.
Soudain,
un hurlement surgit du plus profond, un hurlement bête et sourd
jaillit de ses entrailles Un animal à la tête difforme s’extrait
de l’abdomen de la jeune fille. Un animal aux crocs affreusement
acérés.
Ni
une ni deux, Ivan prend sa tête à son cou, avant que le monstre ne
la prenne en sa gueule ! Il court comme un dératé, imaginant
trouver de l’aide au prochain village, ne serait-ce qu’un
chasseur égaré quelque part. Il voit déjà les lueurs et se met à
hurler « A l’aide ! Au secours ! Au monstre ! ».
Quelques premiers paysans commencent à sortir, affolés. La bête
bave de plus belle en voyant toute cette chair fraîche et rose.
Cet
animal n’était qu’une chimère, la métaphore sibérienne du
tyran russe qui se nourrit de son peuple. Les paysans sortirent de
dessous les tas de fourrures de loups, de renards, de lynx, les
kalachnikovs bien graissées de la révolte.
UNE
VISITE CHEZ CARABOSSE
Elle
n’avait pas fière allure, la fée Carabosse. Elle se regardait
dans le miroir… plantait ses yeux sur sa bouche trop fine, ses
dents tordues, sa verrue sur le bout du nez. Sa chambre était le
lieu de tous les supplices, avec tous ces miroirs sur tous les murs.
Dentelles, froufrous, chambre de vieille demoiselle. Bien mal fichue
la vieille demoiselle. Elle éructa un instant.
La
cloche à l’entrée tinta doucettement. Mais ! Qui donc peut
bien être cet intrus ? La mine ronchonne, elle fila ouvrir,
bien décidée à pousser une petite gueulante ! La porte grinça
avant de cogner le mur. « Qu’est-ce qu’y a ? C’est
qui qui me dérange ainsi ? » grogna-t-elle en se
rembraillant maladroitement.
C’était
Mélusine la voisine qui venait chercher quelques recettes
maléfiques, horrifiques. La vieille Carabosse, furieuse, lui claqua
la porte au nez, qu’elle avait fort bosselé, verrutrophié.
Saisie, Mélusine cracha a gauche, à droite, et fit surgir du sol
des Gromelacks, petites vermines naniformes, méchantes comme des
teignes, capables de se faufiler sous la porte et d’attaquer par
surprise n’importe qui, même la plus puissante des créatures. Ce
qu’ils firent aussitôt…
D’un
coup de baguette, Mélusine fit voler la porte en éclat, énervée
que Carabosse lui fermât si brusquement la porte au nez. Alors, les
deux femmes se firent face, comme deux cow-boys en plein Far West.
Baguettes à la main, elles s’observaient.
Eh
oui ! Mieux vaut ne pas faire sentir à l’autre son
antipathie, au risque d’amener la guerre dans son propre foyer !
La
fée Carabosse se consolait : les miroirs allaient bientôt être
brisés…
UNE MÉSAVENTURE DE
MONSIEUR PIE
Il était une fois monsieur Pie, assis
sur son plus cher et tendre fauteuil, un gros pouf avec un dossier
craquelé mais fidèle aux fesses de ce monsieur. Monsieur Pie était
assis devant une boîte lumineuse, miroir du monde. À côté, une
petite table ronde et un vase de fleurs pour faire style. Seul un
rayon de lumière égayait l’expression de la pièce.
La boîte lumineuse distillait des
images où la noirceur du monde s’étalait en gros plan, où des
hommes en cravate, à la mine réjouie, disaient au bon peuple ce
qu’il fallait penser, disant à tous qu’il n’y avait plus de
pain, qu’il fallait se serrer la ceinture, alors que leurs chemises
portaient encore les stigmates d’un ancien repas composé d’une
viande en sauce bien grasse…
Madame Bonnemine frappa à la porte :
toc, toc, toc
-
Pie : « qu’est-ce que c’est ?
Mme Bonnemine : c’est moi, la
voisine, Bonnemine !
-
Pie : entrez donc, mon amie !
Mme Bonnemine : que vous avez
l’air triste mon pauvre ami, que vous arrive-t-il ?
-
Pie : c’est cette boîte à malices, elle ne montre que des choses horribles ! C’est affreux !
Mme Bonnemine : Allons bon,
arrêter donc de jouer avec ça ! Éteignez cet écran de
malheur et servez-moi votre meilleure boisson ! Écoutez-moi,
j’ai de grandes nouvelles à vous annoncer.
-
Pie : je suis tout ouïe
Mme Bonnemine : je rentre à
l’instant du marché du village ! C’est tout simplement
extraordinaire ce qui m’a été raconté, de source sure, je vous
assure.
-
Pie : dites-moi !
Mme Bonnemine : le roi et la
reine de notre royaume organisent une charmante soirée afin de
rassembler tout le village. Cela faisait longtemps que ça n’avait
été fait ! Comme ça, vous rencontrerez toutes les jeunes
filles du village !
-
Pie : et cette soirée à lieu quand ?
Mme Bonnemine : c’est ce
samedi ! Oh, vivement samedi ! J’espère que ça vous
changera les idées
-
Pie : je ne pense pas y aller…
Mme Bonnemine prit soudain la main de
monsieur Pie en lui souriant.
Mme Bonnemine avait vu dans ce refus
de se rendre au bal une déclaration : si monsieur Pie ne
voulait pas s’intéresser aux autres filles, c’est qu’il était
amoureux d’elle, la brave Pauline Bonnemine ! Elle avait des
papillons dans son cœur, du rose aux joues, ses cils battaient à
cent à l’heure. Elle approcha son visage de celui de son voisin,
et lui sourit de toutes ses dents.
« Il lui en manque beaucoup ! »
C’est ce que remarqua monsieur Pie qui eut un vif mouvement de
recul. Il s’envola avec un cri effarouché : « Ma
pauvre, arrêtez de croire que tout est comme dans vos films
sirupeux ! ».
Et c’est ainsi que monsieur Pie,
croyant prendre son envol, périt en se tordant le cou dans les
escaliers, hanté par la misère du monde et par le désir fou de sa
voisine !
HOMMES DES BOIS
Un jour, un homme portant un immense
chapeau et une grande besace parcourait un chemin traversant une
forêt plantée d’arbres gigantesques, de buissons touffus, où la
lumière avait du mal à pénétrer.
Il rencontra en chemin un bûcheron
vêtu d’une chemise à carreaux rouges qui, comme chaque dimanche,
était parti à la recherche de champignons magiques. Ceux-ci étaient
les ingrédients favoris de la sorcière, sa mère, pour concocter
des potions en tous genres qui pimentaient la vie de la forêt. Le
bûcheron, vieux garçon, vivait seul avec sa maman, mais il aimait,
le soir, refaire le monde avec ses amis lutins et trouver des idées
de sortilèges qu’il pourrait ensuite préparer amoureusement avec
sa môman. L’autre homme, quant à lui, se nommait Greg et ne
savait pas que cette rencontre allait changer le reste de sa vie. Il
était attiré par le mystère qui entourait le bûcheron, il décida
donc de faire un bout de chemin avec lui.
Greg n’avait pas prévu que le
bûcheron était convaincu d’être un magicien et qu’il allait
lui servir de cobaye ! Il ne l’avait pas prévu, et il ne
voulait pas tremper dans cette affaire-là ! Et pourtant… le
bûcheron empoigna sa massette, celle avec laquelle il enfonçait les
panneaux de limite de propriété, et pan ! Lui en mit en coup
sec sur la tête. Complètement assommé, notre homme, qui ne disait
plus rien, fut chargé sur les épaules du bon gars des bois et
emmené dans la cabane au fond du jardin.
Il se réveilla le lendemain, ligoté
et entouré d’outils de jardin, un bras en moins. Et il devait
reconnaître, lui qui était normalement chirurgien, que c’était
du bon boulot.
Alors, que faire quand on est ligoté,
avec un bras en moins, dans une cabane au fond d’un jardin ?
Il avait, heureusement pour lui, des cordes vocales en parfait état
de marche. Il hurla « Au secours ! ». La mère
sorcière et les copains lutins l’entendirent et, comme ils avaient
bon cœur, se rendirent à la cabane, ouvrirent la porte et
délivrèrent le bonhomme. Bon, c’est dommage, maintenant il est
manchot, alors ça va être plus difficile, ou en tout cas plus long
d’aller ramasser des champignons. Mais ses nouveaux copains les
lutins ont promis de l’aider alors, pour lui, ça ne se finit pas
trop mal. Pour le bûcheron qui a porté les coups, la police le
recherche toujours… je crois bien qu’il se planque au fond de la
forêt.
BERTHE
C’est une maison en pierre, seule
sur le plateau. En dessous s’écoule paisiblement le ruisseau.
Ce jour-là, la vieille femme, Berthe,
qui habite ici, a fait sa lessive. Elle vit là, seule, avec ses deux
moutons, sa chèvre, ses quatre poules et son unique chat. Elle n’a
pas peur du loup, Berthe, elle a son fusil pour le cas où… Elle
craint plus les hommes…
Berthe pense à ce qu’elle a à
faire aujourd’hui : étendre sa lessive, traire sa chèvre, et
emballer ses fromages pour aller les vendre sur le marché ;
elle doit bien gagner un peu d’argent, Berthe…
Mais voici que, montant le sentier qui
mène au plateau, Berthe aperçoit trois silhouettes. Qui sont-ils ?
De loin, avec sa vue qui baisse, elle croit reconnaître son frère,
qu’elle n’a pas vu depuis… au moins trois ans ! Il lui
semble qu’il est accompagné d’une femme et d’un enfant…
Ce jour-là, Berthe allait apprendre
une grande nouvelle, qui devait lui donner beaucoup de bonheur :
c’était bien son frère ! Elle ne s’était pas trompée !
Même après ces années de séparation, elle l’avait reconnu. Et
l’enfant… l’enfant est sa nièce ! Elle travaillera à la
ferme avec Berthe ! Et elle était belle, cette petite, mais pas
du tout prétentieuse, au contraire, modeste. Et il faudra bien la
marier, se dit Berthe. Et l’enfant lui sourit de toutes ses dents.
Et Berthe rêve tout haut… elle pourra l’élever, l’éduquer,
lui apprendre la lecture, et tout ça…
-
Bonjour, dit Berthe
Le frère accourt, sa femme aussi.
-
C’est ta tante Berthe, viens ! S’exclame-t-il en direction de sa fille
Berthe ne marche plus. Berthe court,
Berthe vole ! Toute sa famille, tout ce qui lui reste de
famille ! Plus rien ne sépare Berthe d’un avenir radieux !
Mais elle s’écroule dans son élan, affalée sur la pierraille du
chemin, Berthe saigne.
Moralité : rien ne sert de
courir, il faut partir à point !
LA FIN DE MONSIEUR BIBENDUM ET DE
SA CHIENNE ALLUMETTE
Il était une fois monsieur Bibendum,
sacré bonhomme.
Il luttait contre la destruction des
forêts, des immeubles, sans oublier que ses plants cultivés étaient
garantis 90 % sans OGM.
Dans son grand jardin, on trouvait
toutes sortes de choses…
Elle le suivait partout où il allait,
sa chienne. Elle reniflait les plants de tomate, aboyait quand un
rôdeur approchait trop près de son jardin. Monsieur Bibendum lui
donnait des petits bonbons à la réglisse pour la remercier.
Alumette remuait la queue en suçant la pastille parfumée.
Tout aurait pu continuer ainsi, au gré
des va-et-viens, entre les champs, la forêt, la maison, et
accessoirement le village où monsieur Bibendum s’en allait vendre
ses légumes et acheter ce qu’il ne produisait pas…
Mais soudain, une énorme lueur
pulvérisa le ciel d’une étincelante lumière de magma rougi à
blanc ! Une météorite grosse comme une maison venait de
s’écraser sur la montagne en face, en arrachant un flanc gros
comme une ville entière…
Adieu tomates, chienne, bonbons à la
réglisse !
Le cataclysme n’avait fait aucun
survivant. Les défenseurs de la nature fumaient, réduits en cendres
chaudes dans le profond chaudron creusé par la météorite. Ça
faisait bien penser à quelque chose, une impression de « déjà
vu ». Refaire le monde en quelques lignes, je ne m’en sens
pas le courage, attendons quelques millions d’années…
Ainsi va le cycle naturel, ou
accidentel de la vie !
HYACINTHE
Mon père, au beau milieu de la cour,
venait de faire tomber son porte-monnaie. Ça lui confirmait que,
s’il avait des lunettes, une loupe ou encore son fils, alors il le
retrouverait plus vite.
Heureusement, mon neveu, qui arrivait
en gambadant, trouva la bête : c’était une bourse en cuir
qui sonnait creux. Il se mit à s’en servir de hochet, et à
l’agiter en courant autour de son grand-père pour le narguer :
« J’ai des yeux tout neufs, des jambes qui marchent bien et
tes sous, Papy ! ». Cela finit d’irriter l’ancien, qui
était déjà fort agacé.
Heureusement, mon père, tout bourru
qu’il fût, avait une grande tendresse pour mon neveu Hyacinthe.
Mais ce jour-là, Hyacinthe se montrait particulièrement pénible.
Grand-père tenta de raisonner l’enfant, puis le supplia « Aie
pitié des vieux os de ton Papy ! », et enfin il se fâcha
« Rends-moi mon porte-monnaie immédiatement, vaurien, ou tu
vas tâter du bois de ma canne ! »
« Tu ne cours pas assez vite,
l’ancêtre ! » hurla Hyacinthe, décidément bien
insolent ce jour-là !
J’assistais, impuissant, à la
scène, hésitant entre laisser mon père régler lui-même le
conflit, ou corriger personnellement l’effronté.
Eh ben, le pauvre Hyacinthe ramassa
une bonne correction de la part de son père et de son grand-père !
Il se demandait pourquoi il n’avait pas de mamie, pas de mère, pas
de sœur… Décidément, dans sa famille, on n’était pas gâté
par la nature : pas de femme, ou très peu. Et puis, il ne les
connaissait pas…
Alors, Hyacinthe s’enfuit dans la
forêt qui bordait la maison du grand-père.
Et moi, l’oncle, mon frère, père
de Hyacinthe, et l’ancien, nous nous regardâmes, cois. Nous étions
dépassés par cette réaction vive. Quelle folie ! La forêt,
de nuit, et tous ses dangers ! La forêt et tous ses recoins
sombres ! La forêt et ses habitants hostiles !
Nous appelâmes tous les habitants du
village et partîmes à la recherche de l’enfant, toute la nuit.
Oui, toute la nuit nous restâmes dehors, par un froid de canard, et
un effroi qui grandissait dans tous les regards ! Quelle
bourrique cet enfant ! L’ancêtre se morfondait. Nous revînmes
au petit matin dans la maison familiale. L’au-revoir aux
villageois. Reprendre des forces avant de repartir. Quand… ce petit
sifflement dans la maison… Il dormait, les poings serrés dans son
petit lit de petit garçon. Il était revenu ! Tout seul…
comme un grand !
LA JUMENT JAUNE DE JULES
La vallée était perdue aux confins
du monde. Le soleil s’y levait tout doucement, presque
paresseusement, et tout un chacun qui y habitait faisait de même. Il
en était ainsi d’Hector, vieux maréchal-ferrant un peu bourru qui
appréciait de lézarder le matin en prenant le petit déjeuner à
l’aurore.
Sur le chemin s’avançait Jules le
rebouteux, jeteur de sorts, traînant une lourde besace remplie de
simples, d’onguents, de mandragore. Il avait rendez-vous avec
Hector, car sa jument jaune avait la fièvre. Elle ne mangeait plus
et Madelin, l’apprenti d’Hector, restait auprès d’elle.
Le vieux maréchal-ferrant commença à
examiner la jument, qui ne se laissait pas approcher facilement.
Jules le rebouteux l’aida dans sa tâche, afin de calmer sa jument.
Hector commença par regarder l’état des sabots, mais le problème
ne semblait venir des fers. Ne trouvant rien à faire pour calmer la
fièvre de sa bête, Jules s’inquiétait, car l’état de la
jument s’aggravait.
Hector, le maréchal-ferrant avait un
humour un peu douteux, et dit à Jules : « Mais,
dites-moi, vous êtes jeteur de sorts, ne pouvez-vous pas soigner
vous-même votre jument ? »
-
Eh bien oui, je vais voir ce que je peux faire, répondit Jules.
Cependant, Jules le rebouteux savait
mesurer la relativité de sa magie. En fait, ça fonctionnait parce
que les gens croient en la magie, les humains je veux dire. Pour les
animaux, c’est autre chose. L’effet placebo ça n’allait pas
prendre, Jules en était certain. Hector le maréchal-ferrant vit
l’expression du visage de Jules. « Allez, ne faites pas cette
tête-là, je plaisantais, voilà tout ! ».
Hector tâta l’animal sur la croupe,
le dos, l’encolure, puis désigna une marque derrière l’oreille
droite. « La marque du démon, dit Hector. Un farfadet est
certainement passé à l’écurie à votre insu la nuit dernière et
a laissé son empreinte ! D’où la fièvre ! »
Hector fouilla alors dans son atelier, sortir d’un coffre un
étrange caillou et dit : « C’est du minerai d’opalium,
je fais le fondre et l’intégrer à l’un des fers de la jument.
Dans deux jours, la fière sera passée, garanti ! ».
Jules fut soulagé en entendant la nouvelle.
Ainsi fut fait. Hector demanda quinze
pièces au rebouteux qui repartit tout content, malgré ses poches
vides. Hector s’adressa alors à Madelin et lui dit d’un ton
grave : « Tu vois, c’est comme ça qu’on fait raquer
les gogos ! Elle avait rien sa jument jaune, juste une pierre
coincée sous un sabot ! ».
Les descendants d’Hector devinrent
garagistes à l’époque moderne, mais leurs façons de faire n’ont
pas changé.
UNE NOUVELLE VIE POUR ALBUS
Il était une fois Albus, jeune homme
vivant dans une contrée lointaine. Il habitait une petite maison en
compagnie de sa famille.
Sa famille était tellement
extraordinaire qu’on préfère dire qu’il s’agit d’une
contrée lointaine : mieux vaut éviter la foule des curieux ou
des jaloux. Une contrée lointaine permet de garder le mythe et le
charme du lieu.
Mais au fait, qui est Albus et
pourquoi parler de lui ? C’est simple : Albus est un
jeune homme bien, vivant dans une famille extraordinaire, mais qui
n’arrive pas à trouver sa voie.
Au début, il comptait exercer son art
de la peinture et vivre de la vente de ses œuvres, avoir un appart'
à New York, faire des vernissages somptueux où il côtoierait les
artistes les plus cotés et les plus belles actrices. Mais ses
parents coupèrent net à ce ramassis de rêveries et déclarèrent
qu’il serait menuisier, comme son père et son grand-père avant
lui. Malheureusement, Albus était maladroit, et les échardes qu’il
se plantait dans les mains étaient trop douloureuses. Il décida
donc, une nuit de pleine lune, de s’enfuir de chez lui et de
parcourir les routes, à la recherche de sa fortune, à l’aventure,
là où ses pas le conduiraient. Le lendemain, son père, le
menuisier aux mains d’or du village, et sa mère, partirent à sa
recherche.
Chemin faisant, Albus rencontra, au
détour d’un bois, un vieux mage à qui il raconta son histoire,
ses rêves d’artiste, la pression de ses parents… Ils parlèrent
des heures durant. Le mage l’invita à traverser la brume ambiante
et à passer une porte spatio-temporelle qui l’emmena vers une
destination inconnue. Là-bas, les gens joyeux, lumineux. Tout
brillait autour de lui. C’était magique ! Un passant
l’accosta et lui demanda :
— C’est toi que le mage
envoie ?
— Euh, oui, je crois,
pourquoi ?
— Nous t’attendions, nous
recherchons un artiste qui pourrait décorer nos maisons, nous avons
besoin de changement et de nouveauté !
— Ah oui ?
Surpris, heureux, aux anges, Albus
suivit le passant jusqu’au cœur du royaume féerique. Il partit à
la découverte des maisons avec un grand sourire. D’avance, il se
réjouissait de pouvoir exprimer son art. Et sa curiosité sera en
plus rassasiée par la découverte d’un monde féerique !
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