Animé par : Greg
Trajets et promenades rituelles
a) Refaire en pensée une promenade
rituelle de son enfance (= trajet agréable) ou de son adolescence (=
trajet parfois minime) ou un trajet du quotidien, de chez soi une
fois la porte close au franchissement du portail du collège (=
trajet utile) => description itinérante.
b) Dresser une liste des lieux
extérieurs du quotidien, et trouver pour chacun des vues immobiles
du dedans vers le dehors, en imposant qu’il y ait toujours un cadre
(une fenêtre, une visière de casque, la ligne d’un arrêt de bus,
la porte de sortie d’un magasin) et un peu de ciel.
c) Réfléchir à « tous les
lieux où on est immobile, même provisoirement, mais de façon
répétitive dans le quotidien, pour regarder la ville » (arrêt
de bus, feu rouge, banc, queue à la boulangerie, devant une porte
pour prendre sa clé…)
***
Chemin
d’enfance
C’est
le chemin des Peupliers, le chemin qui mène de la Ferme des
Peupliers, à la Place de la ville.
Passer
de la campagne, la grande bâtisse de briques rouges, la cour carrée
intérieure, l’étable, le poulailler, les prairies ... au Bourg,
ses commerces, l’école, l’église, le bus, le tram ...
Franchir
toute la verdure, traverser les champs, longtemps, pour mes petites
jambes et sortir du domaine familial, quitter le silence et le ciel
ouvert sur le rideau de peupliers, aller à la découverte du monde.
Toute
petite, je sais que ce chemin, que mes pas sont inscrits en moi,
avant moi. Papa nous racontait : « par tous les temps,
nous allions à pied à l’école, nous portions le lait ou les
pommes de terre à vélo, avec mes frères et sœurs, nous le
connaissions par cœur ».
Je
marche avec la mémoire et le regard de mes ancêtres. Je parcours
avec curiosité chaque saison, jamais je ne suis seule.
Toute
petite, je sens que les traces laissées ont la qualité de
l’éternité : toute ma vie racontée au fil des labours, des
haies, des saules pleureurs le long de la becque, de la curiosité
des vaches. Chez nous, elles partagent toutes la même robe, noir et
blanc.
Parfois,
l’odeur de la terre grasse et luisante, de la paille scintillante,
piquante, des près verts, ondulant sous la bise.
Quitter
le ferme, c’est passer par une porte symbolique et stricte, passer
au Calvaire, là où la grand-mère paternelle a édifié sa
gratitude et son chagrin caché. Ici, j’ai initié une voie de
liberté.
A
trois ans et demi, Papa m’a emmenée avec lui contrôler une
récolte du champ du calvaire. Il m’a dit : « attends-moi
là », juste derrière la croix levée, la haie
...
et moi, j’ai continué. Je me souviens, le ciel bleu pur, un soleil
qui illuminait tout le vert. Je me vois tranquille et heureuse,
émerveillée, j’avance, je regarde tout, je respire, j’aime
tout, j’aime la vie, j’aime cet instant à la folie, mon cœur
de petite fille, si sage, chante.
A
la fin des saules pleureurs, il y avait à gauche trois maisons de
briques, la dernière accueillait un estaminet : « Le
Tivoli ». La patronne était dehors, elle dit « c’est
qui cette petite fille ? » ... et je sens la main de mon
père qui m’attrape le bras ... Enfin, ça c’est la scène
raccord entre mon souvenir de bonheur et le retour puni à la
maison ! J’ai effacé Papa qui me rattrape, j’ai oublié ma
désobéissance, sa peur.
J’ai
gardé, avec fierté, au creux des fossés et des terriers, aux
frémissements des frondaisons, le long de ce précieux chemin, une
petite niche secrète, ressource sur mon chemin de liberté.
Annie
***
C’était le soir. Le ciel
était déjà sombre en hiver et lorsque les jours s’allongeaient,
il prenait la couleur rouge-orangée du soleil qui tardait à se
coucher. J’avais dans ma main gauche une biche : un petit
récipient cylindrique en aluminium avec une anse. La chaînette qui
reliait la biche à son couvercle tintait doucement. Dans ma main
droite, j’avais la main d’une de mes sœurs. Le trajet était
court. Au bout de cent mètres à peine de route goudronnée, on
longeait un petit mur de pierres sèches et on descendait sur la
droite dans l’herbe en direction d’un bâtiment minuscule d’où
sortait une vague odeur de bouse et quelques beuglements discrets.
Dans cette étable, nous surprenait une douce chaleur exhalée par
les naseaux de deux vaches dont une se faisait traire par une vieille
dame aux cheveux blancs. « Bonjour, mes petits »,
disait-elle en nous voyant arriver. Elle tirait sur les trayons de la
vache pour en sortir un lit tiède et bourru. Nous attendions
patiemment qu’elle eût terminé. Elle se levait alors, prenait
notre biche et prélevait du lait avec une énorme louche dans une
autre biche qui était une version géante de la nôtre, puis elle
transvasait le liquide blanc dans notre petit récipient. Et nous
revenions, chargés de notre provision de lait. Quand la dame aux
cheveux couleur du lait s’est débarrassée de ses vaches, il a été
impossible à mes parents de nous faire boire du lait demi-écrémé
en tétra-pack pendant plusieurs années.
*
Rien de plus rageant que de
louper le tram quand il vous passe devant le nez. Manquaient dix
mètres, tant pis.
Le ciel est gris avec des
nuances infinies, au-dessus du la tour de la Cité du Design, en
forme de L inversé. Inquiétante structure. On dirait le squelette
d’un immeuble ayant subi un bombardement ou d’une bête
préhistorique. Devant moi, à quelques mètres, se dresse une
plate-forme en béton sur laquelle est posée une cage de verre
fendue qui contenait, il y a encore quelques mois, une œuvre d’art
constituée de néons figurant l’aménagement intérieur d’un
appartement. Vous n’y comprenez rien ? Moi non plus. Pas le
temps, le tram est arrivé, je m’y suis faufilé et je suis arrivé
à temps pour boire un café avec Henri, avant d’écrire des
quelques lignes vaseuses et mélancoliques.
Greg.
***
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