lundi 27 février 2017

Atelier d'écriture du 13/02/2017 - 18h15

Animé par : Greg
Trajets et promenades rituelles
a) Refaire en pensée une promenade rituelle de son enfance (= trajet agréable) ou de son adolescence (= trajet parfois minime) ou un trajet du quotidien, de chez soi une fois la porte close au franchissement du portail du collège (= trajet utile) => description itinérante.
b) Dresser une liste des lieux extérieurs du quotidien, et trouver pour chacun des vues immobiles du dedans vers le dehors, en imposant qu’il y ait toujours un cadre (une fenêtre, une visière de casque, la ligne d’un arrêt de bus, la porte de sortie d’un magasin) et un peu de ciel.
c) Réfléchir à « tous les lieux où on est immobile, même provisoirement, mais de façon répétitive dans le quotidien, pour regarder la ville » (arrêt de bus, feu rouge, banc, queue à la boulangerie, devant une porte pour prendre sa clé…)
***
Chemin d’enfance

C’est le chemin des Peupliers, le chemin qui mène de la Ferme des Peupliers, à la Place de la ville.
Passer de la campagne, la grande bâtisse de briques rouges, la cour carrée intérieure, l’étable, le poulailler, les prairies ... au Bourg, ses commerces, l’école, l’église, le bus, le tram ...
Franchir toute la verdure, traverser les champs, longtemps, pour mes petites jambes et sortir du domaine familial, quitter le silence et le ciel ouvert sur le rideau de peupliers, aller à la découverte du monde.
Toute petite, je sais que ce chemin, que mes pas sont inscrits en moi, avant moi. Papa nous racontait : « par tous les temps, nous allions à pied à l’école, nous portions le lait ou les pommes de terre à vélo, avec mes frères et sœurs, nous le connaissions par cœur ».
Je marche avec la mémoire et le regard de mes ancêtres. Je parcours avec curiosité chaque saison, jamais je ne suis seule.
Toute petite, je sens que les traces laissées ont la qualité de l’éternité : toute ma vie racontée au fil des labours, des haies, des saules pleureurs le long de la becque, de la curiosité des vaches. Chez nous, elles partagent toutes la même robe, noir et blanc.
Parfois, l’odeur de la terre grasse et luisante, de la paille scintillante, piquante, des près verts, ondulant sous la bise.
Quitter le ferme, c’est passer par une porte symbolique et stricte, passer au Calvaire, là où la grand-mère paternelle a édifié sa gratitude et son chagrin caché. Ici, j’ai initié une voie de liberté.
A trois ans et demi, Papa m’a emmenée avec lui contrôler une récolte du champ du calvaire. Il m’a dit : « attends-moi là », juste derrière la croix levée, la haie
... et moi, j’ai continué. Je me souviens, le ciel bleu pur, un soleil qui illuminait tout le vert. Je me vois tranquille et heureuse, émerveillée, j’avance, je regarde tout, je respire, j’aime tout, j’aime la vie, j’aime cet instant à la folie, mon cœur de petite fille, si sage, chante.
A la fin des saules pleureurs, il y avait à gauche trois maisons de briques, la dernière accueillait un estaminet : « Le Tivoli ». La patronne était dehors, elle dit « c’est qui cette petite fille ? » ... et je sens la main de mon père qui m’attrape le bras ... Enfin, ça c’est la scène raccord entre mon souvenir de bonheur et le retour puni à la maison ! J’ai effacé Papa qui me rattrape, j’ai oublié ma désobéissance, sa peur.
J’ai gardé, avec fierté, au creux des fossés et des terriers, aux frémissements des frondaisons, le long de ce précieux chemin, une petite niche secrète, ressource sur mon chemin de liberté.

Annie
*** 
C’était le soir. Le ciel était déjà sombre en hiver et lorsque les jours s’allongeaient, il prenait la couleur rouge-orangée du soleil qui tardait à se coucher. J’avais dans ma main gauche une biche : un petit récipient cylindrique en aluminium avec une anse. La chaînette qui reliait la biche à son couvercle tintait doucement. Dans ma main droite, j’avais la main d’une de mes sœurs. Le trajet était court. Au bout de cent mètres à peine de route goudronnée, on longeait un petit mur de pierres sèches et on descendait sur la droite dans l’herbe en direction d’un bâtiment minuscule d’où sortait une vague odeur de bouse et quelques beuglements discrets. Dans cette étable, nous surprenait une douce chaleur exhalée par les naseaux de deux vaches dont une se faisait traire par une vieille dame aux cheveux blancs. « Bonjour, mes petits », disait-elle en nous voyant arriver. Elle tirait sur les trayons de la vache pour en sortir un lit tiède et bourru. Nous attendions patiemment qu’elle eût terminé. Elle se levait alors, prenait notre biche et prélevait du lait avec une énorme louche dans une autre biche qui était une version géante de la nôtre, puis elle transvasait le liquide blanc dans notre petit récipient. Et nous revenions, chargés de notre provision de lait. Quand la dame aux cheveux couleur du lait s’est débarrassée de ses vaches, il a été impossible à mes parents de nous faire boire du lait demi-écrémé en tétra-pack pendant plusieurs années.
*
Rien de plus rageant que de louper le tram quand il vous passe devant le nez. Manquaient dix mètres, tant pis.
Le ciel est gris avec des nuances infinies, au-dessus du la tour de la Cité du Design, en forme de L inversé. Inquiétante structure. On dirait le squelette d’un immeuble ayant subi un bombardement ou d’une bête préhistorique. Devant moi, à quelques mètres, se dresse une plate-forme en béton sur laquelle est posée une cage de verre fendue qui contenait, il y a encore quelques mois, une œuvre d’art constituée de néons figurant l’aménagement intérieur d’un appartement. Vous n’y comprenez rien ? Moi non plus. Pas le temps, le tram est arrivé, je m’y suis faufilé et je suis arrivé à temps pour boire un café avec Henri, avant d’écrire des quelques lignes vaseuses et mélancoliques.
Greg.
***

dimanche 12 février 2017

Atelier d'écriture du 30/01/2017 - 18h15

Animé par : Laurence
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« Histoires à 5 plumes »
Atelier d’écriture du Remue-Méninges – lundi 30 janvier 2017
1/ chacun, au début de la page, plante un décor, une ambiance, où évolue un personnage de son choix (3 min)
2/ la feuille passe au voisin, qui ajoute un (ou plusieurs) personnages dont il donne quelques indices (caractère, comportement, relations entre eux et le premier personnage) (4 min)
3/ la feuille passe à nouveau, pour créer un événement perturbant le cours de l’histoire et les personnages (7 min)
4/ nouveau scripteur pour l’ultime point « dramatique » du récit (dans le sens d’une montée en puissance tragique, ou comique, ou absurde) (7 min)
5/ la dernière plume écrira la chute, ou la morale (7 min)
Et par ordre (ou désordre ?) d’entrée en scène (ou plutôt en récit) :
Virginie, Grégory, Audrey, Samuel, Nicole, Jean-François, Catherine, Nelly, Laurence, Nicole et Carole.
***
UN DRAGON ENRHUME
Il était une fois un dragon orphelin qui vivait dans un lieu magique entouré de lacs et de forêts dans une contrée fort fort lointaine, il y a de ça fort fort longtemps. Il n’avait donc plus ses parents, mais il avait de nombreux amis qui étaient devenus un peu sa famille d’adoption. Il allait à l’école tous les matins. L’institutrice était une fée.
Le dragon était le plus grand élève de sa classe. Heureusement que l’institutrice pouvait voler, cela lui permettait de taper au besoin sur le museau du dragon. Tous ses amis de la classe étaient des animaux : lapins, chenilles, etc. En plus, ils savaient tous parler, et les lapins aimaient courir !
Tout ce petit monde avait pour habitude de partager la même salade à midi. Mais ce jour-là, on sentait la fumée, et une odeur de grillé depuis le matin. On entendait le dragon éternuer au-delà des montagnes. À chaque éternuement, une flamme, un petit brasier. Le chocolat de Karim l’écureuil fondait en coulant sur sa réserve de noisettes. Les lapins qui pourtant couraient vite (l’entraînement), n’avaient pas pu éviter un éternuement. Ils sentaient le roussi. L’instant était critique ! L’institutrice avait essayé de soigner ça de sa poussière de fée, mais elle n’avait réussi qu’à rendre la crise plus violente !
Un dragon allergique à la poussière de fée ! Avait-on jamais entendu une chose pareille ? Il ne restait plus qu’à aller faire chercher le médecin scolaire, un hibou très savant et très dévoué. « Allez, les lapins, courez le chercher vers le nord ! Karim, laisse ton chocolat, de toute façon il est fondu maintenant, et pars vers le sud ! Les autres, deux groupes, à l’est et à l’ouest. Les premiers qui me ramènent Docteur Hibou auront un bon point ! ». Et chacun se mit en route, laissant le dragon enrhumé à la garde attentive de la fée institutrice, qui avait eu la présence d’esprit de lui demander d’éternuer dans un grand baquet plein d’eau, pour le pas risquer l’incendie de l’école.
Le docteur ne put rien faire, tout ce qu’il essayait n’avait aucun effet ! Monsieur le curé passa par là. Un coup de baguette magique, ou une BA, ou le hasard… bref, revenons à nos moutons, le dragon apprit à jouer avec cet atout… ou ce boulet… Et des moutons ? Ben oui, il y en avait !
PEEL ET FACE
La cheminée de la chaumière cachée en lisière des bois vapotait des volutes bleues dans un ciel où les deux lunes de la nuit écarlate réfléchissaient comme des miroirs. Peel le troll attendait.
Peel attendait son ami Face avec qui il avait l’habitude de jouer dans la forêt. Face était plus petit que Peel, étant plus jeune d’années.
Face ne venait pas… Peel avait attendu, attendu jusqu’à la tombée de la nuit. Peel ne s’était pas rendu compte que le jour est éphémère. La nuit aussi, mais sa fin va prendre un peu de temps. Le temps s’est accéléré et maintenant c’est au tour du cœur de ce pauvre Peel. Comment va-t-il sortir de la forêt ? Il n’y a pas de lampadaire sur les poteaux arbres ! Peel tâtonnait tel un aveugle. Ses autres sens étaient en émoi, ce qui rend la forêt, la nuit, plus inquiétante. Soudain, une branche casse, enfin… il croit entendre… Puis un bruit sourd, enfin, il lui semble… Une silhouette, ou quelque chose de plus clair se dessine dans la pénombre. Des fois, mieux vaut pas s’habituer à l’obscurité. Mais là, Peel voyait quelque chose, il ne pouvait pas l’ignorer.
Il avait vu des pattes griffues près des buissons qui bordaient le chemin. Un frôlement, un grognement, puis une lueur. Des flammes éclairèrent les arbres et brûlèrent quelques branches autour de lui. Un dragon était devant lui ! Une bête écailleuse effrayante qui l’observait d’un œil jaune reptilien. Il se mit à courir à travers la forêt, s’enfonça plus avant dans le dédale des troncs. Après quelques instants, il s’arrêta pour reprendre son souffle et guetta le moindre bruit. Tout était silencieux. Soulagé, il chercha dans l’obscurité le chemin, mais il ne le trouva pas. Et soudain, l’effroyable dragon fut à nouveau devant lui !
Un combat sans merci s’amorça entre le dragon et Peel. Peel utilisa tous les projectiles à sa portée : branches, feuilles, pommes de pin… Il visa la tête, l’entrejambe du dragon qui, à chaque coup, crachait du feu dans sa direction ! Le petit Peel heureusement était agile : bondissant de branche en branche, il réussit à sauter sur les épaules du dragon et encercla son cou avec une liane. Le dragon, privé d’oxygène, s’effondra au sol dans un grand bruit sourd. Au contact du sol, le corps du dragon se désagrégea et partit en fumée. En lieu et place du corps inerte du dragon, Peel vit le corps inanimé de son ami Face. Il le secoua, lui parla, le gifla ! Face revint à lui et raconta sa mésaventure à Peel : Face avait été capturé et transformé en dragon. Face remercia son ami de l’avoir sauvé du sortilège.
Peel et Face redevinrent les meilleurs amis du monde et vécurent encore de nombreuses et belles aventures au cœur du bois enchanté.

ALIEN VS RÉVOLUTION

C’est dans une forêt sombre, il fait froid, c’est l’hiver. Ivan Vassilievitch quitte sa cabane pour aller chasser. Il a enfilé sa pelisse, ses gants, ses bottes fourrées. Il n’oublie pas de mettre dans le fond de sa poche un peu de viande séchée, et dans son autre poche un flacon de vodka.
Ce soir-là, Ivan a déjà bien bu. De la vodka, bien évidemment. Il voit apparaître une jeune fille qui deviendra, plus tard, son sucre d’orge. Elle est toute déguenillée, les cheveux sales, pieds nus, elle n’a pas un sou.
Ivan veut lui offrir un verre. « Comment t’appelles-tu, petite demoiselle ? » Amadouer l’enfant, accostage en eau fragile. Elle lui sourit, avale une gorgée de la vodka si aimablement offerte, semble apprécier, déguste. Tout va pour le mieux.
Soudain, un hurlement surgit du plus profond, un hurlement bête et sourd jaillit de ses entrailles Un animal à la tête difforme s’extrait de l’abdomen de la jeune fille. Un animal aux crocs affreusement acérés.
Ni une ni deux, Ivan prend sa tête à son cou, avant que le monstre ne la prenne en sa gueule ! Il court comme un dératé, imaginant trouver de l’aide au prochain village, ne serait-ce qu’un chasseur égaré quelque part. Il voit déjà les lueurs et se met à hurler « A l’aide ! Au secours ! Au monstre ! ». Quelques premiers paysans commencent à sortir, affolés. La bête bave de plus belle en voyant toute cette chair fraîche et rose.
Cet animal n’était qu’une chimère, la métaphore sibérienne du tyran russe qui se nourrit de son peuple. Les paysans sortirent de dessous les tas de fourrures de loups, de renards, de lynx, les kalachnikovs bien graissées de la révolte.
UNE VISITE CHEZ CARABOSSE
Elle n’avait pas fière allure, la fée Carabosse. Elle se regardait dans le miroir… plantait ses yeux sur sa bouche trop fine, ses dents tordues, sa verrue sur le bout du nez. Sa chambre était le lieu de tous les supplices, avec tous ces miroirs sur tous les murs. Dentelles, froufrous, chambre de vieille demoiselle. Bien mal fichue la vieille demoiselle. Elle éructa un instant.
La cloche à l’entrée tinta doucettement. Mais ! Qui donc peut bien être cet intrus ? La mine ronchonne, elle fila ouvrir, bien décidée à pousser une petite gueulante ! La porte grinça avant de cogner le mur. « Qu’est-ce qu’y a ? C’est qui qui me dérange ainsi ? » grogna-t-elle en se rembraillant maladroitement.
C’était Mélusine la voisine qui venait chercher quelques recettes maléfiques, horrifiques. La vieille Carabosse, furieuse, lui claqua la porte au nez, qu’elle avait fort bosselé, verrutrophié. Saisie, Mélusine cracha a gauche, à droite, et fit surgir du sol des Gromelacks, petites vermines naniformes, méchantes comme des teignes, capables de se faufiler sous la porte et d’attaquer par surprise n’importe qui, même la plus puissante des créatures. Ce qu’ils firent aussitôt…
D’un coup de baguette, Mélusine fit voler la porte en éclat, énervée que Carabosse lui fermât si brusquement la porte au nez. Alors, les deux femmes se firent face, comme deux cow-boys en plein Far West. Baguettes à la main, elles s’observaient.
Eh oui ! Mieux vaut ne pas faire sentir à l’autre son antipathie, au risque d’amener la guerre dans son propre foyer !
La fée Carabosse se consolait : les miroirs allaient bientôt être brisés…
UNE MÉSAVENTURE DE MONSIEUR PIE
Il était une fois monsieur Pie, assis sur son plus cher et tendre fauteuil, un gros pouf avec un dossier craquelé mais fidèle aux fesses de ce monsieur. Monsieur Pie était assis devant une boîte lumineuse, miroir du monde. À côté, une petite table ronde et un vase de fleurs pour faire style. Seul un rayon de lumière égayait l’expression de la pièce.
La boîte lumineuse distillait des images où la noirceur du monde s’étalait en gros plan, où des hommes en cravate, à la mine réjouie, disaient au bon peuple ce qu’il fallait penser, disant à tous qu’il n’y avait plus de pain, qu’il fallait se serrer la ceinture, alors que leurs chemises portaient encore les stigmates d’un ancien repas composé d’une viande en sauce bien grasse…
Madame Bonnemine frappa à la porte : toc, toc, toc
  1. Pie : « qu’est-ce que c’est ?
Mme Bonnemine : c’est moi, la voisine, Bonnemine !
  1. Pie : entrez donc, mon amie !
Mme Bonnemine : que vous avez l’air triste mon pauvre ami, que vous arrive-t-il ?
  1. Pie : c’est cette boîte à malices, elle ne montre que des choses horribles ! C’est affreux !
Mme Bonnemine : Allons bon, arrêter donc de jouer avec ça ! Éteignez cet écran de malheur et servez-moi votre meilleure boisson ! Écoutez-moi, j’ai de grandes nouvelles à vous annoncer.
  1. Pie : je suis tout ouïe
Mme Bonnemine : je rentre à l’instant du marché du village ! C’est tout simplement extraordinaire ce qui m’a été raconté, de source sure, je vous assure.
  1. Pie : dites-moi !
Mme Bonnemine : le roi et la reine de notre royaume organisent une charmante soirée afin de rassembler tout le village. Cela faisait longtemps que ça n’avait été fait ! Comme ça, vous rencontrerez toutes les jeunes filles du village !
  1. Pie : et cette soirée à lieu quand ?
Mme Bonnemine : c’est ce samedi ! Oh, vivement samedi ! J’espère que ça vous changera les idées
  1. Pie : je ne pense pas y aller…
Mme Bonnemine prit soudain la main de monsieur Pie en lui souriant.
Mme Bonnemine avait vu dans ce refus de se rendre au bal une déclaration : si monsieur Pie ne voulait pas s’intéresser aux autres filles, c’est qu’il était amoureux d’elle, la brave Pauline Bonnemine ! Elle avait des papillons dans son cœur, du rose aux joues, ses cils battaient à cent à l’heure. Elle approcha son visage de celui de son voisin, et lui sourit de toutes ses dents.
« Il lui en manque beaucoup ! » C’est ce que remarqua monsieur Pie qui eut un vif mouvement de recul. Il s’envola avec un cri effarouché : « Ma pauvre, arrêtez de croire que tout est comme dans vos films sirupeux ! ».
Et c’est ainsi que monsieur Pie, croyant prendre son envol, périt en se tordant le cou dans les escaliers, hanté par la misère du monde et par le désir fou de sa voisine !
HOMMES DES BOIS
Un jour, un homme portant un immense chapeau et une grande besace parcourait un chemin traversant une forêt plantée d’arbres gigantesques, de buissons touffus, où la lumière avait du mal à pénétrer.
Il rencontra en chemin un bûcheron vêtu d’une chemise à carreaux rouges qui, comme chaque dimanche, était parti à la recherche de champignons magiques. Ceux-ci étaient les ingrédients favoris de la sorcière, sa mère, pour concocter des potions en tous genres qui pimentaient la vie de la forêt. Le bûcheron, vieux garçon, vivait seul avec sa maman, mais il aimait, le soir, refaire le monde avec ses amis lutins et trouver des idées de sortilèges qu’il pourrait ensuite préparer amoureusement avec sa môman. L’autre homme, quant à lui, se nommait Greg et ne savait pas que cette rencontre allait changer le reste de sa vie. Il était attiré par le mystère qui entourait le bûcheron, il décida donc de faire un bout de chemin avec lui.
Greg n’avait pas prévu que le bûcheron était convaincu d’être un magicien et qu’il allait lui servir de cobaye ! Il ne l’avait pas prévu, et il ne voulait pas tremper dans cette affaire-là ! Et pourtant… le bûcheron empoigna sa massette, celle avec laquelle il enfonçait les panneaux de limite de propriété, et pan ! Lui en mit en coup sec sur la tête. Complètement assommé, notre homme, qui ne disait plus rien, fut chargé sur les épaules du bon gars des bois et emmené dans la cabane au fond du jardin.
Il se réveilla le lendemain, ligoté et entouré d’outils de jardin, un bras en moins. Et il devait reconnaître, lui qui était normalement chirurgien, que c’était du bon boulot.
Alors, que faire quand on est ligoté, avec un bras en moins, dans une cabane au fond d’un jardin ? Il avait, heureusement pour lui, des cordes vocales en parfait état de marche. Il hurla « Au secours ! ». La mère sorcière et les copains lutins l’entendirent et, comme ils avaient bon cœur, se rendirent à la cabane, ouvrirent la porte et délivrèrent le bonhomme. Bon, c’est dommage, maintenant il est manchot, alors ça va être plus difficile, ou en tout cas plus long d’aller ramasser des champignons. Mais ses nouveaux copains les lutins ont promis de l’aider alors, pour lui, ça ne se finit pas trop mal. Pour le bûcheron qui a porté les coups, la police le recherche toujours… je crois bien qu’il se planque au fond de la forêt.
BERTHE
C’est une maison en pierre, seule sur le plateau. En dessous s’écoule paisiblement le ruisseau.
Ce jour-là, la vieille femme, Berthe, qui habite ici, a fait sa lessive. Elle vit là, seule, avec ses deux moutons, sa chèvre, ses quatre poules et son unique chat. Elle n’a pas peur du loup, Berthe, elle a son fusil pour le cas où… Elle craint plus les hommes…
Berthe pense à ce qu’elle a à faire aujourd’hui : étendre sa lessive, traire sa chèvre, et emballer ses fromages pour aller les vendre sur le marché ; elle doit bien gagner un peu d’argent, Berthe…
Mais voici que, montant le sentier qui mène au plateau, Berthe aperçoit trois silhouettes. Qui sont-ils ? De loin, avec sa vue qui baisse, elle croit reconnaître son frère, qu’elle n’a pas vu depuis… au moins trois ans ! Il lui semble qu’il est accompagné d’une femme et d’un enfant…
Ce jour-là, Berthe allait apprendre une grande nouvelle, qui devait lui donner beaucoup de bonheur : c’était bien son frère ! Elle ne s’était pas trompée ! Même après ces années de séparation, elle l’avait reconnu. Et l’enfant… l’enfant est sa nièce ! Elle travaillera à la ferme avec Berthe ! Et elle était belle, cette petite, mais pas du tout prétentieuse, au contraire, modeste. Et il faudra bien la marier, se dit Berthe. Et l’enfant lui sourit de toutes ses dents. Et Berthe rêve tout haut… elle pourra l’élever, l’éduquer, lui apprendre la lecture, et tout ça…
  • Bonjour, dit Berthe
Le frère accourt, sa femme aussi.
  • C’est ta tante Berthe, viens ! S’exclame-t-il en direction de sa fille
Berthe ne marche plus. Berthe court, Berthe vole ! Toute sa famille, tout ce qui lui reste de famille ! Plus rien ne sépare Berthe d’un avenir radieux ! Mais elle s’écroule dans son élan, affalée sur la pierraille du chemin, Berthe saigne.
Moralité : rien ne sert de courir, il faut partir à point !
LA FIN DE MONSIEUR BIBENDUM ET DE SA CHIENNE ALLUMETTE
Il était une fois monsieur Bibendum, sacré bonhomme.
Il luttait contre la destruction des forêts, des immeubles, sans oublier que ses plants cultivés étaient garantis 90 % sans OGM.
Dans son grand jardin, on trouvait toutes sortes de choses…
Elle le suivait partout où il allait, sa chienne. Elle reniflait les plants de tomate, aboyait quand un rôdeur approchait trop près de son jardin. Monsieur Bibendum lui donnait des petits bonbons à la réglisse pour la remercier. Alumette remuait la queue en suçant la pastille parfumée.
Tout aurait pu continuer ainsi, au gré des va-et-viens, entre les champs, la forêt, la maison, et accessoirement le village où monsieur Bibendum s’en allait vendre ses légumes et acheter ce qu’il ne produisait pas…
Mais soudain, une énorme lueur pulvérisa le ciel d’une étincelante lumière de magma rougi à blanc ! Une météorite grosse comme une maison venait de s’écraser sur la montagne en face, en arrachant un flanc gros comme une ville entière…
Adieu tomates, chienne, bonbons à la réglisse !
Le cataclysme n’avait fait aucun survivant. Les défenseurs de la nature fumaient, réduits en cendres chaudes dans le profond chaudron creusé par la météorite. Ça faisait bien penser à quelque chose, une impression de « déjà vu ». Refaire le monde en quelques lignes, je ne m’en sens pas le courage, attendons quelques millions d’années…
Ainsi va le cycle naturel, ou accidentel de la vie !
HYACINTHE
Mon père, au beau milieu de la cour, venait de faire tomber son porte-monnaie. Ça lui confirmait que, s’il avait des lunettes, une loupe ou encore son fils, alors il le retrouverait plus vite.
Heureusement, mon neveu, qui arrivait en gambadant, trouva la bête : c’était une bourse en cuir qui sonnait creux. Il se mit à s’en servir de hochet, et à l’agiter en courant autour de son grand-père pour le narguer : « J’ai des yeux tout neufs, des jambes qui marchent bien et tes sous, Papy ! ». Cela finit d’irriter l’ancien, qui était déjà fort agacé.
Heureusement, mon père, tout bourru qu’il fût, avait une grande tendresse pour mon neveu Hyacinthe. Mais ce jour-là, Hyacinthe se montrait particulièrement pénible. Grand-père tenta de raisonner l’enfant, puis le supplia « Aie pitié des vieux os de ton Papy ! », et enfin il se fâcha « Rends-moi mon porte-monnaie immédiatement, vaurien, ou tu vas tâter du bois de ma canne ! »
« Tu ne cours pas assez vite, l’ancêtre ! » hurla Hyacinthe, décidément bien insolent ce jour-là !
J’assistais, impuissant, à la scène, hésitant entre laisser mon père régler lui-même le conflit, ou corriger personnellement l’effronté.
Eh ben, le pauvre Hyacinthe ramassa une bonne correction de la part de son père et de son grand-père ! Il se demandait pourquoi il n’avait pas de mamie, pas de mère, pas de sœur… Décidément, dans sa famille, on n’était pas gâté par la nature : pas de femme, ou très peu. Et puis, il ne les connaissait pas…
Alors, Hyacinthe s’enfuit dans la forêt qui bordait la maison du grand-père.
Et moi, l’oncle, mon frère, père de Hyacinthe, et l’ancien, nous nous regardâmes, cois. Nous étions dépassés par cette réaction vive. Quelle folie ! La forêt, de nuit, et tous ses dangers ! La forêt et tous ses recoins sombres ! La forêt et ses habitants hostiles !
Nous appelâmes tous les habitants du village et partîmes à la recherche de l’enfant, toute la nuit. Oui, toute la nuit nous restâmes dehors, par un froid de canard, et un effroi qui grandissait dans tous les regards ! Quelle bourrique cet enfant ! L’ancêtre se morfondait. Nous revînmes au petit matin dans la maison familiale. L’au-revoir aux villageois. Reprendre des forces avant de repartir. Quand… ce petit sifflement dans la maison… Il dormait, les poings serrés dans son petit lit de petit garçon. Il était revenu ! Tout seul… comme un grand !
LA JUMENT JAUNE DE JULES
La vallée était perdue aux confins du monde. Le soleil s’y levait tout doucement, presque paresseusement, et tout un chacun qui y habitait faisait de même. Il en était ainsi d’Hector, vieux maréchal-ferrant un peu bourru qui appréciait de lézarder le matin en prenant le petit déjeuner à l’aurore.
Sur le chemin s’avançait Jules le rebouteux, jeteur de sorts, traînant une lourde besace remplie de simples, d’onguents, de mandragore. Il avait rendez-vous avec Hector, car sa jument jaune avait la fièvre. Elle ne mangeait plus et Madelin, l’apprenti d’Hector, restait auprès d’elle.
Le vieux maréchal-ferrant commença à examiner la jument, qui ne se laissait pas approcher facilement. Jules le rebouteux l’aida dans sa tâche, afin de calmer sa jument. Hector commença par regarder l’état des sabots, mais le problème ne semblait venir des fers. Ne trouvant rien à faire pour calmer la fièvre de sa bête, Jules s’inquiétait, car l’état de la jument s’aggravait.
Hector, le maréchal-ferrant avait un humour un peu douteux, et dit à Jules : « Mais, dites-moi, vous êtes jeteur de sorts, ne pouvez-vous pas soigner vous-même votre jument ? »
  • Eh bien oui, je vais voir ce que je peux faire, répondit Jules.
Cependant, Jules le rebouteux savait mesurer la relativité de sa magie. En fait, ça fonctionnait parce que les gens croient en la magie, les humains je veux dire. Pour les animaux, c’est autre chose. L’effet placebo ça n’allait pas prendre, Jules en était certain. Hector le maréchal-ferrant vit l’expression du visage de Jules. « Allez, ne faites pas cette tête-là, je plaisantais, voilà tout ! ».
Hector tâta l’animal sur la croupe, le dos, l’encolure, puis désigna une marque derrière l’oreille droite. « La marque du démon, dit Hector. Un farfadet est certainement passé à l’écurie à votre insu la nuit dernière et a laissé son empreinte ! D’où la fièvre ! » Hector fouilla alors dans son atelier, sortir d’un coffre un étrange caillou et dit : « C’est du minerai d’opalium, je fais le fondre et l’intégrer à l’un des fers de la jument. Dans deux jours, la fière sera passée, garanti ! ». Jules fut soulagé en entendant la nouvelle.
Ainsi fut fait. Hector demanda quinze pièces au rebouteux qui repartit tout content, malgré ses poches vides. Hector s’adressa alors à Madelin et lui dit d’un ton grave : « Tu vois, c’est comme ça qu’on fait raquer les gogos ! Elle avait rien sa jument jaune, juste une pierre coincée sous un sabot ! ».
Les descendants d’Hector devinrent garagistes à l’époque moderne, mais leurs façons de faire n’ont pas changé.
UNE NOUVELLE VIE POUR ALBUS
Il était une fois Albus, jeune homme vivant dans une contrée lointaine. Il habitait une petite maison en compagnie de sa famille.
Sa famille était tellement extraordinaire qu’on préfère dire qu’il s’agit d’une contrée lointaine : mieux vaut éviter la foule des curieux ou des jaloux. Une contrée lointaine permet de garder le mythe et le charme du lieu.
Mais au fait, qui est Albus et pourquoi parler de lui ? C’est simple : Albus est un jeune homme bien, vivant dans une famille extraordinaire, mais qui n’arrive pas à trouver sa voie.
Au début, il comptait exercer son art de la peinture et vivre de la vente de ses œuvres, avoir un appart' à New York, faire des vernissages somptueux où il côtoierait les artistes les plus cotés et les plus belles actrices. Mais ses parents coupèrent net à ce ramassis de rêveries et déclarèrent qu’il serait menuisier, comme son père et son grand-père avant lui. Malheureusement, Albus était maladroit, et les échardes qu’il se plantait dans les mains étaient trop douloureuses. Il décida donc, une nuit de pleine lune, de s’enfuir de chez lui et de parcourir les routes, à la recherche de sa fortune, à l’aventure, là où ses pas le conduiraient. Le lendemain, son père, le menuisier aux mains d’or du village, et sa mère, partirent à sa recherche.
Chemin faisant, Albus rencontra, au détour d’un bois, un vieux mage à qui il raconta son histoire, ses rêves d’artiste, la pression de ses parents… Ils parlèrent des heures durant. Le mage l’invita à traverser la brume ambiante et à passer une porte spatio-temporelle qui l’emmena vers une destination inconnue. Là-bas, les gens joyeux, lumineux. Tout brillait autour de lui. C’était magique ! Un passant l’accosta et lui demanda :
— C’est toi que le mage envoie ?
— Euh, oui, je crois, pourquoi ?
— Nous t’attendions, nous recherchons un artiste qui pourrait décorer nos maisons, nous avons besoin de changement et de nouveauté !
— Ah oui ?
Surpris, heureux, aux anges, Albus suivit le passant jusqu’au cœur du royaume féerique. Il partit à la découverte des maisons avec un grand sourire. D’avance, il se réjouissait de pouvoir exprimer son art. Et sa curiosité sera en plus rassasiée par la découverte d’un monde féerique !

vendredi 10 février 2017

Atelier d’écriture du 28/11/2016

Animé par : Greg

***

« La vie est un court exil » – Platon.

« En pays d’exil, même le printemps manque de charme. » – Proverbe russe

« L’exil est une espèce de longue insomnie. » – Victor Hugo

« L’exil avec la richesse, c’est une patrie. La pauvreté chez soi, c’est un exil. » – Proverbe arabe

« La vie sans musique est tout simplement une erreur, une fatigue, un exil. » – Friedrich Nietzsche

« L’exil de l’homme, c’est l’ignorance ; sa patrie c’est la science. » – Honorius d’Autun (moine et théologien chrétien du XIIe siècle)

« Les pires exils sont intérieurs. » – Anne Dandurand (auteure canadienne contemporaine)

« Un exilé n’a plus d’amis, et ce malheur est bien plus cruel que l’exil. » – Théognis de Mégare (poète grec du VIe siècle av. J-C)

Racontez un périple réel ou imaginaire loin de votre pays et de votre famille et décrivez votre nostalgie, vos espoirs, les éventuels pays traversés, les personnes rencontrées, etc.

Vous pouvez vous inspirer des proverbes ou citations ci-dessus (en les utilisant comme première phrase, par exemple).

***

Lorsque j’arrive sur le port, l’odeur de varech me saute aux narines. Le vent porte les mouettes haut dans le ciel. Une forêt de mâts se balance au gré des vagues. J’entends des cris, des ordres hurlés dans des langues dont la plupart me sont inconnues. Des hommes, surchargés de sacs et d’amphores de toutes sortes entrent et sortent des bateaux. L’ensemble dégage une image de chaos, mais un chaos ordonné comme celui des fourmilières. Chacun a son rôle, chacun a son poste. Mon sac de toile à la main, je traverse la foule en constant mouvement sur les docks. Des gars musclés me bousculent. Je suis complètement perdu dans cette masse grouillante. Des moutons qu’on pousse à fond de cale bêlent plaintivement. Des poules caquettent dans leurs cages, affolées, perdant des plumes à chaque battement d’ailes. Un type barbu semble attendre, le coude appuyé sur une jarre de terre cuite. C’est le seul individu dans cette foule qui semble immobile. J’en profite. Je lui demande où est le navire du capitaine Theognis. Il me regarde d’un œil morne et sans un mot, sans même se redresser, il tourne la tête en direction du navire derrière lui. Il est plus petit que les autres et me semble bien mal en point.

« C’est toi, Homère de Chios ? me demande le barbu.

« Oui, je lui réponds en posant mon sac.

« Je suis le capitaine Theognis, prêt à embarquer, jeune homme ?

Il me fait signe de monter à bord. Je reprends mon maigre bagage et m’engage sur la passerelle. Il embarque derrière moi et hurle des ordres en grec.

« Levez la passerelle ! »

« Larguez les amarres ! »

Le navire craque. J’ai l’impression qu’il va s’éparpiller au moindre coup de vent. Une fois sorti du port, les voiles sont déployées et mon voyage commence. Le capitaine ordonne à un matelot de me montrer mes quartiers. Celui-ci me fait descendre à la cale. j’ai droit à un hamac tendu entre des jarres d’olives et des amphores de vin. Ça sent fort la saumure et la vinasse en même temps. Je pose mon baluchon sur le hamac et remonte sur le pont. Le vent est favorable mais un peu fort. Le mal de mer commence à faire remonter le repas, pourtant frugal, que j’ai pris à l’aube, juste avant de partir. Nous sommes plusieurs passagers comme moi. J’ai pu payer le voyage à l’avance, donc je n’ai pas besoin de travailler à bord. Mais d’autres, moins fortunés, doivent nettoyer le pont, participer aux manœuvres et faire la tambouille pour payer leur traversée. Le bois de la coque craque de plus en plus et, en me penchant, je m’aperçois que plusieurs planches sont disjointes. Au fil des nuits, enfin des quelques heures passées à fond de cale à tenter de fermer l’œil, je vois bien que l’eau s’infiltre et alourdit le bateau.

Au loin des nuages annoncent qu’une tempête arrive de l’ouest. Le bateau s’agite dans tous les sens. À chaque creux, j’ai l’impression que la mer va nous engloutir si Poséidon ne vient pas à notre secours.

Nous nous agrippons tous à tout ce qui peut nous empêcher de passer par-dessus bord : le mât, le bastingage, des cordes, etc. Des paquets de mer déferlent sur le pont, emportent des malheureux dont le hurlement se perd dans le fracas des vagues gigantesques. Une vague projette ma tête contre le mât et je sombre dans l’obscurité. Le goût et la froideur de l’eau salée me réveillent puis je m’enfonce dans la noirceur liquide et m’évanouis à nouveau.
Lorsque je reprends connaissance, la joue enfouie dans du sable, une toux irrépressible me fait cracher de l’eau, mes poumons me font horriblement mal. Je tourne la tête vers le ciel. Mes yeux sont agressés par la lumière crue d’un soleil à son zénith. Des planches sont amenées par de douces vaguelettes sur ce rivage inconnu. Je me sens faible et désespéré, mais étrangement libre, entièrement libre, pour la première fois de ma vie. Mon voyage ne fait que commencer, me dis-je en me relevant.
Greg.

Atelier d’écriture du 14/11/2016

Thème : Handicap et Corps
Animé par : Carole
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Le corps, qu’est-ce que c’est ce corps qu’on traîne, jour après jour, comme une misère, une fierté, une jeunesse, une enclume ou une plume ? C’est le scaphandre de notre âme, le siège de nos désirs, le lieu d’où l’on part pour s’élancer vers l’autre, l’autre qui en aussi un de corps, différent mais pareil en même temps, comme nous-mêmes mais avec une enveloppe un peu plus ceci ou moins cela. Les mains se serrent, les pieds se touchent. Épaule contre épaule, on avance de front ou l’un contre l’autre quand ça va mal. On dit alors que les esprits s’échauffent, mais le corps aussi s’échauffe, avec ces muscles qui se tendent, ces phalanges qui se rapprochent. Et que dire alors de l’attirance des corps, cette exaltation des tous les sens qui tourbillonnent, s’entrechoquent, faisant naître en nous des mouvements contradictoires : un pas en avant, un pas en arrière.
Et puis parfois, le corps, il lui manque un truc, quelque chose comme la fluidité du mouvement, une capacité de communiquer d’une certaine manière, un sens ou un autre.
Mais l’humain a autre chose dans le corps que ses membres et ses organes sensoriels, quelque chose de bien matériel, dans une boîte solide, à toute épreuve.
Une matière grisâtre, à l’aspect pas très engageant, mais qui produit de l’essentiel, de l’immatériel, certaines choses pas très belles mais quelques arcs-en-ciels, qui interroge, agresse, caresse, dialogue avec le monde, fait des projets, émet des soupirs, compense les manques, ajoute des couleurs à l’existence pour disputer à la misère ce droit de régner sur nos corps sans partage, qui prend sa revanche, qui permet de s’évader.
Après avoir observé et peut-être même jugé le corps de l’autre, prenons le temps de lui demander ce qu’il y a dans sa boîte, en haut du squelette, nous pourrions être surpris de nous voir nous-mêmes, comme dans un miroir un peu trouble, et de voyager dans des univers dont nous n’aurions jamais soupçonné l’existence.
Greg.

Atelier d’écriture du 24/10/2016

Thème : Les Addictions
Animé par : Marie-Hélène
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Morale élémentaire
Dis-leur merde aux dealers



Addiction frénétique
Solitude illégale
Habitude ingérable

Abstinence honteuse




Déprime médicale
Éducation emprisonnante
Dérivatif sucré







Dérivatif empoisonné


Le dernier, c’est juré


Les jurés ont rendu leur verdict


Une cuillère d’alcool, j’en suis addict


Entassement des blanches lignes


Je replonge dans le produit de la vigne


Pour ne plus ressentir le vide


Ni cette brique pesante dans mon bide




Angoisse comblée
Tremblement éthylique
Pari truqué

Flagrant délit répétitif





Écriture en vers turcs : sans les lettres B F M P V
Deux heures de rien. j’ai deux heures à ne rien glander sur une chaise. Une angoisse étrangle l’intellect du gars torturé que je suis. Horreur. Je dois résister. Une lutte a lieu en cet instant. Dois-je étreindre cette cocaïne des neurones qu’est la rotation des doigts antagonistes des index l’un autour de l’autre. Je ne dois craquer sous aucun … Ha ! Encore accorder à cette saleté le gain de la guerre ? Non !
Je gis sur le carrelage glacé, la tête contre le sol. Quel con ! Les canines ont rongé les doigts. Je ne dois songer à rien qui ait l’air de cela. Regarder la télé ! Oui ! Ce truc noir soulage l’angoisse. Soirée orgiaque : Derrick, la recherche d’une étoile de la chanson, des idiots sur une île déserte, des gars louches en costard racontant des sornettes, ainsi que d’autres rigolades nulles.
La nuit s’est écoulée. Le jour éclot. Doigts intacts. Soulagé.
Greg.

Atelier d’écriture du 10/10/2016

Animé par : Greg

Textes à trous de la Fête du Livre.

***

Des missiles fusent, des grognements de bêtes qui s’ébrouent lourdement après un déluge. Quelques rafales lavent le pont, dispersant un peu de métal fondu, des trombes rouges sifflent sur la coque du vaisseau, plongent et s’effilochent mais le gros des combats est passé. Une vitre se brise dans un énorme fracas et sur la passerelle apparaît une pieuvre extraterrestre de la Constellation de Véga, une des espèces les plus agressives de la Galaxie.

« Foss Grô Meu » hurle-t-elle.

Elle brandit un fusil à plasma au bout d’un de ses membres flasques de céphalopode géant.

Nous nous faisons tous petits dans notre cachette. Nous ne sommes plus que deux et je suis le seul qui soit armé. Et encore ! Mon pistolaser ne parviendrait même pas à entamer leur chair molle. D’autres octopodes débarquent. Il y en a de toutes sortes : des encornets, des calamars et même quelques seiches. On dirait que toutes les entités à corps mou de l’Univers se sont ligués contre nous. Nous nous glissons dans les conduits d’aération J’ouvre la marche, avec mon arme ridicule. Max me suit, soufflant comme un forcené.

Le pauvre ! Il n’a pas eu de formation militaire. Il est simple informaticien et réparait une panne dans Fenêtres 3008, notre nouveau système d’exploitation lorsque l’attaque a eu lieu. Quant à moi, je viens juste de finir mon entraînement de fantassin de l’espace avec la mention passable. Comme première journée sur un vaisseau de guerre, on a vu plus facile. Les deux seuls survivants dans cette carcasse dérivant dans le cosmos sont à peine plus qualifiés que des touristes en excursion.

Mais j’ai eu une idée lumineuse. On va se faufiler vers l’arrière, les propulseurs, et les faire sauter avant de nous enfuir vers les capsules de sauvetage. Plus facile à dire qu’à faire. Mais mon informaticien qui s’asphyxie derrière moi va m’être d’une grande aide. Il va faire planter le programme qui gère toute l’énergie du vaisseau. Un bel écran bleu, des insultes en anglais, et puis une grosse explosion au bout de quelques minutes. De quoi transformer notre superbe destroyer en un plateau de fruits de mer fumant.

« Attends, me dit Max qui s’arrête pour reprendre sa respiration.

« Nom d’un chien, avance ! je lui lance, agacé par sa lenteur.

Soudain, en dessous de nous, dans le corridor, un bruit de glissement de chairs visqueuses sur le sol. Une énorme pieuvre patrouille, fourrant ses tentacules dans les moindres recoins pour trouver d’éventuels survivants. L’un de ces tentacules atteint la grille à côté de nous. Max a cessé de haleter. Le tentacule, semblant doté d’une vie propre, tâtonne. Il passe si près de mon visage que je vois les ventouses. Nous retenons notre respiration. Au bout de quelques secondes interminables, le tentacule disparaît et le bruit de glissement recommence puis s’éloigne progressivement. Max est proche de l’évanouissement.

« Réveille-toi, je lui murmure en lui secouant l’épaule.

« Hein ?, fait-il.

Son regard est celui d’une bête traquée, épuisée, prête à craquer.

Je le tire par le col et nous continuons notre progression vers les propulseurs. Le conduit débouche dans un local technique avec plein de câbles énormes partout.

« Tu sais où on est ? je demande à Max.

« Propulseur droit, étage de refroidissement, je crois…

Il se dirige vers un écran noir qui s’allume à son contact. Il tape quelques instructions, Ctrl Alt Suppr et hop ! Écran bleu !

« On a deux minutes trente avant l’arrêt du refroidissement du cœur nucléaire !

« Ça va être court, je fais en commençant à courir.

« T’inquiète pas, dit-il, les capsules de sauvetage sont pas loin.

En effet : à deux pas, on y est.

Notre capsule s’éloigne du vaisseau à grande vitesse. Une explosion silencieuse nous secoue un peu. Le destroyer est vaporisé.

Plus jamais je ne mangerai de fruits de mer.
Greg.